Descente de nuage...
Un paysage mélancolique, plat comme la Flandre de Brel et aux couleurs criardes de l'automne. Une rivière qui serpente et qui traverse le site de l'école, « die kleine Saale » (« la petite Saale », probablement un affluent de la grande). Une forêt juste à côté qui renforce encore le côté romantique du lieu.
Et puis l'atmosphère gothique de la nuit, avec le cimetière, les entrées sans porte de l'ancien cloître et l'humidité des murs. Par moments on n'y croise pas âme qui vive et j'ai cru me balader dans « Le Nom de la rose » ou dans un vieux Dracula.
Seulement le silence des pierres, de la forêt et des vieilles tombes, silence dans lequel on peut facilement imaginer quelques paires d'yeux qui nous épient...
Tout ne pouvait pas rester aussi génial et il fallait que je redescende de mon petit nuage...
Mon 1er retour en stop de Leipzig a été un vrai carnage.
J'ai commencé à 17h sans me douter qu'on avait changé d'heure. Quand je l'ai appris ça m'a plutôt chamboulé de réaliser qu'il faisait nuit à 17h30 !
Chaque hiver je tombe des nues et probable qu'à chaque printemps j'oublie la difficile transition entre automne et hiver qui a précédé. Quoi qu'il en soit je n'avais pas le souvenir qu'en Provence il faisait nuit à 17h30 !!!
Peut-être que je me trompe. En tout cas j'étais bien déphasé et un gars m'a pris à Grünau (à la sortie de Leipzig - le fameux quartier où je me suis perdu 2 fois et où il y aurait pas mal de nazis) et m'a laissé dans un bled paumé et quasiment pas éclairé !
Comme disait mon vieil oncle Anatole (qu'on appelait « Anatole pas de bol ») : « Un stoppeur mort est un stoppeur dans le noir ». Adage vérifié...
En me quittant mon assassin m'avait montré un chemin supposé être la suite de ma route. Il avait rajouté qu'il y avait « 3 heures » jusqu'à la ville suivante. Comme j'avais vu un panneau annonçant 16 km j'ai supposé qu'il voulait dire ¾ d'heure de voiture jusqu'à ma destination finale (d'après ce que j'ai compris ici ¼ d'heure et 1 heure c'est un peu pareil en jargon familier).
Mais quand je me suis retrouvé seul dans la nuit sur cette route où les voitures passaient en trombe et rarement, j'ai réalisé que ce petit salopard comptait vraiment que je me fasse 16 km à pieds en 3 heures !
Au bout de quelques « Stunden » j'ai utilisé mon Joker et un de mes anges allemands m'a chopé sur le chemin pour m'amener à bon port... 7 heures après mon départ !
J'avais passé quelques heures près d'un panneau indiquant un monument à la mémoire de Nietzsche. S'il m'a vu le vieux fou a bien dû se payer ma fiole...
Hier encore une mauvaise expérience pour équilibrer la balance. Comme dans ce fichu pays je n'ai jamais vu de volets aux fenêtres il faut bien quelque chose pour se créer un peu d'intimité quand on est chez soi. Alors il y a des sortes de stores mais qui se bloquent sans arrêt. Pour y remédier je me suis fait un équilibre précaire entre une chaise et le bord de la fenêtre. Bien sûr la chaise s'est cassée la gueule, et moi dans la foulée, en plein sur le radiateur. J'avais un tibia tout gonflé et qui pissait le sang, une chaussette écarlate et une envie de crier un bon coup.
Je me suis nettoyé comme j'ai pu et j'ai cherché une infirmerie. Fermée. Il n' y avait personne nulle part. Les élèves et les profs étaient en cours. Tant mieux. Au fond je ne tenais pas trop à ce qu'ils me voient en Robert Hossein boitant dans « Angélique, marquise des anges ». Comme j'étais pas décidé à épouvanté le directeur de tant d'hémoglobine j'ai marché jusqu'à la ville la plus proche (Naumburg - 1 km) en quête d'une pharmacie.
Bien sûr je n'en ai pas trouvé. Et bien sûr il a commencé à pleuvoir. Alors ch'ai fait une cholie balade dans la forêt en suifant l'indication du chemin de l'ancien cloître. Le long de la Kleine Saale, qui se transformait en étang. Il ne manquait plus que des nymphes. D'ailleurs il y en avait peut-être, mais dans le noir... J'ai fait attention à ne pas tomber dans l'eau. Vue ma chance du moment, ç'aurait été le pompon.
Une prof d'anglais m'a fait un bandage qui a dû tenir une heure et j'ai senti ma jambe saigner une partie de la journée d'aujourd'hui. Normal je marche sans arrêt.
On m'a emmené au « Einwohnermeldeamt » (le bureau de déclaration de résidence), passage obligé des étrangers qui veulent être couverts ici. Le responsable des assistants, fidèle à son habitude, enchaînait les blagues et on a rigolé comme des bossus avec la secrétaire. L'assistante d'anglais ne mouftait pas (je me méfie d'elle, car en plus d'être anglaise elle n'aime pas les Gewürtzgurken ni les Mohnkuchen - gâteaux au pavot - pour lesquels je pourrais sans problème faire 1500 km en stop).
Dans l'ordinateur du bureau il n'y avait d'ailleurs pas le Royaume-Uni. J'ai trouvé ça super drôle !
Comme je ne voulais pas saigner pendant 10 jours je me suis décidé à aller voir un médecin. On m'avait dit que ça allait me coûter dans les 100 euros mais tant pis.
J'étais armé d'une quantité extraordinaire de papiers car je savais qu'ici comme en France on aime ça. Par malchance il m'en manquait un... Après 2 heures d'attente j'ai quand même vu un Docteur qui m'a fait faire un bandage tout neuf par une infirmière (même pas cap' de le faire lui-même...) et qui a dû tenir une demi-heure. 37 euros pour la consultation. Il paraît que je peux me faire rembourser. La prochaine fois j'achèterai du désinfectant et des compresses et ça me coûtera rien...
Je suis rentré en bus et je trouvais depuis quelques heures que les gens me regardaient bizarrement.
Alors j'ai observé ceux qui m'observaient et j'ai remarqué qu'ils m'observaient vraiment...
Un peu comme si j'étais un oiseau exotique. Probable que c'est dû à mes habits ou à ma tête inconnue dans ces lieux reculés.
J'ai remarqué qu'à l'école c'était un peu pareil avec les jeunes. Parmi ceux qui réagissent à mon approche certains m'observent, d'autres ricanent. Probable que je dois les amuser ou les intriguer.
Ah, je sens que je vais me régaler ici !!!
Une chouette rencontre. Une brune en pull vert m'a surpris en me disant bonjour en français avec un grand sourire. Waouh, j'en croyais pas mes yeux : elle avait au moins 10 ans de plus que les élèves et 2 fois moins d'hivers que la plupart des profs.
J'ai tout de suite compris que j'allais avoir des discussions plus spirituelles. Ca me changeait de l'assistante d'anglais qui croit tout ce que je lui dis, y compris que si je déprime trop en hiver je me pendrai à l'énorme lustre du réfectoire...
La donzelle ne connaît pas trop la France, mais elle adore la Bretagne (un bon point), elle est nouvelle ici et prof stagiaire (Maths-Français, quel mélange horrible...) et elle a bien envie de pratiquer le français. Et elle a l'air de saisir quand je fais de l'ironie. Yes, je vais pas m'ennuyer !
On m'a mis en garde contre les rumeurs. Ici, d'après ce qu'on m'a dit, certaines élèves avec qui un adulte homme a été vu seul avec elles pourraient exploiter cette ambiguïté pour faire du chantage (à la bonne note, par exemple). Moi, je ne dois pas mettre de notes. Mais j'avais pas vraiment l'intention de me retrouver en tête-à-tête avec une de ces lolitas. J'avais déjà choisi la prudence et j'avais bien l'intention d'éviter de donner de la matière à exploiter à ceux que les rumeurs peuvent faire vivre dans cette école.
Des heures et des heures à suivre des cours (chimie, latin, éducation civique, anglais, allemand, histoire). C'est plutôt instructif de voir les profs à l'oeuvre. Ca me donne des exemples à suivre mais aussi à ne pas suivre. J'ai le cerveau qui disjoncte d'idées de choses à faire d´couvrir aux élèves...
Je commence à m'habituer à cette langue qui tantôt me berce tantôt m'intrigue, mais dont la musicalité me devient familière.
Est-ce que j'aurais pu imaginer il y a encore 2 ans ½ en arriver là un jour ? Probable que non.
Il a fallu que je croise une étincelle. Et j'étais déjà sacrément inflammable.