L'année s'achève...
Je dois reconnaître que ça a bien marché. La tempête, je savais bien que je ne pourrais pas l'étouffer. Je commence à me connaître. Avec le temps et les rencontres, je l'ai canalisée, elle s'est changée en souffle, en brise qui me fait avancer, poussant dans les voiles de mes envies.
Ce lieu et ces gens, je les ai pris comme ils étaient, en évitant de les juger. Et puis pour apaiser une blessure amoureuse, quel remède plus idéal je pouvais trouver que de passer 8 mois entouré de présences féminines en bourgeon, trop jeunes pour moi ?
Dans cet univers étrange et étranger je me suis re-découvert...
Pour trancher avec ça et éviter de péter les plombs il y avait les longs week-ends à Leipzig, avec sa vie bouillonnante, ses bars, ses habitants et passants hauts en couleurs, la vie de coloc à la place de la solitude de l'internat, la bohème du grenier qui me tient lieu de chambre pour changer de mon logement de fonction un peu trop confortable, les lumières plus tapageuses de la ville pour couper avec l'isolement de la campagne saxonne...
Avec les mois je me suis imprégné de cette langue que je trouvais rugueuse et sensuelle. L'anglais, que j'utilisais beaucoup au départ pour me faire comprendre, s'est peu à peu éclipsé. Je me suis senti progressivement d'une nouvelle identité. Disons que les facettes de ce que je suis se sont recombinées.
Mes cours de la fac et les réflexions qu'ils ont suscités m'ont aidé à mettre des mots là-dessus. Je me sens ou me suis senti français, provençal, marseillais, méditerranéen, parfois un peu breton, de temps en temps parisien, étudiant, bohème, prof, anarchiste, poète, féministe, libre-penseur, libertin, communiste, amant fidèle, cynique et joyeux à la fois, allemand, saxon, exubérant, réservé, rêveur, réaliste, hippy, straight, intello par ce que je fais, prolo par ce à quoi je touche et là d'où je viens, macho par moments, élégant le plus souvent...
Mon pote R m'a dit tout l'hiver que je ressemblais à un rayon de soleil chaque fois que je rentrais le week-end. Et c'est vrai que j'avais la patate. Je savais que l'hiver serait dur. Je me suis quand même gardé le luxe de déprimer les dernières semaines de février, histoire de m'intégrer un peu, de faire couleur locale !
Au moment où j'écrivais encore cet article des élèves m'ont invité à les rejoindre pour leur dernière fête. Les 10e, l'équivalent des 2ndes en France. Après une entrée en matière (un barbecue) sage, officielle et au milieu des profs, les élèves ont migré vers les bords de la Saale (la rivière d'ici) pour continuer la soirée. Ca m'a fait drôle d'en voir certains une clope au bec et une bouteille d'alcool à la main. Des ados bien sympas dont je voyais enfin mieux les personnalités. Un premier, élève modèle, a plongé tout habillé dans la Saale. Le petit malin a fait marrer tout le monde. Puis ils se sont fait la chasse pour se balancer dans la rivière. Après ça a suivi un lâcher de lampions-mongolfières, qui avec une grande flamme à l'intérieur s'envolaient dans le ciel. Magnifique !
Une jolie petite fleur a passé un long moment à côté de moi, me jetant des sourires timides et me posant mille et unes questions pour que je reste un peu plus longtemps en sa compagnie. On a parlé. Tant mieux si je lui donnais du rêve facile.
De nombreux élèves sont venus me voir, pour me demander si j'avais encore cours avec leur classe, pour me dire à quel point ils appréciaient mes interventions. Certains étaient stupéfaits de réaliser que je parlais allemand. En effet, ceux qui n'étaient pas mes élèves et n'apprenaient pas le français s'étaient mis dans la tête qu'on n'avait aucune langue en commun (ce qui était vrai à mon arrivée ici). Beaucoup m'ont dit qu'ils allaient me regretter l'année prochaine. Ca m'a fait des frissons dans le dos.
Alors depuis ces derniers mois j'étais traversé de doutes tenaces, me disant parfois que mes cours ne les intéressaient plus, qu'ils étaient de moins en mois réactifs, ou que d'autres commençaient à râler alors qu'ils avaient semblé momifiés pendant des mois !
C'est juste qu'ils étaient à l'aise...
Et je m'entêtais à coups d'extraits de "Délicatessen", du "Péril jeune", de "La Cité de la peur", de "L'Auberge espagnole" ou du "Père Noël est une ordure", de clips et de chansons de Mickey 3D, des Rita Mitsouko, de Camille, de la Rue Kétanou, des Elles, d'Anaïs... à leur faire des transitions ludiques entre les activités et d'intro du cours un peu délirantes. En apparence imperturbable, mais en réalité caffi de doutes.
Alors ces efforts auront finalement porté leurs fruits !
Il y a quelques jours j'étais content de quitter l'école, mais là ces petits cons m'ont poussé pieds et poings liés dans la rivière de la nostalgie...
A Leipzig je me suis mêlé aux gens des bars, inconnu-e-s et parfois retrouvailles, décidé à affronter seul la ville et cette nouvelle culture. Je repense à tous ces visages, des sourires, des traits, des rires, des voix, des touchers, des odeurs. On dit là d'où je viens que les Allemands ne se touchent pas. C'est faux !!! Ca me trouble toujours un peu quand les gens qui m'apprécient me prennent dans leurs bras pour me dire bonjour...
Je repense à ces rencontres qui ont ponctué cette année de joies et de surprises. De réalisation...
Le sourire distant et gamin d'Elisa, la douceur et le regard clair de Marlène., la simplicité reposante de Perrine, la férocité dépressive de Katja, l'élégance qui fait rêver de Marie, la brutalité enfantine de Linda, l'humour de Marie-Charlotte, la patience de Margrit, la spontanéité de Marie-Eve, la générosité de Damaris la hippy, l'intelligence mystérieuse d'Albine...
Femmes qui ont toujours peuplé ma vie, ne serait-ce qu'en me nourrissant de leur présence.
Celles qui m'ont marqué le plus ont inspiré des poèmes, j'ai croqué leur portrait en mots.
Des gars aussi : Robert le sage, qui devine toujours mes erreurs avant que je les fasse, Hagen le clown, Till le joyeux luron, Yoram à qui j'ai communiqué un peu de mon amour de cet endroit (est-ce que je dois dire : ville, région, pays, post-pays qui n'existe plus ?), de cette vie-là, et que j'ai retrouvé sous un jour nouveau. Je ne l'avais senti aussi proche que dans le cadre d'ateliers de discussions de groupes d'hommes, portant sur la déconstruction masculine et la sexualité. Le vieux copain qui reprend son chemin vers le pays des Gaulois...
L'année scolaire s'achève donc et j'ai repris mes couleurs de sudiste. Non, j'en ai de nouvelles (je pense à ce conte métaphore écrit après les fêtes de Noël - « Tango céleste »- dont l'évolution est bien représentative de la mienne).
J'ai eu des colères et des déceptions aussi, mais j'ai décidé de garder en tête surtout le positif.
D'ici quelques jours mon école-internat-ancien monastère va fermer.
Je m'étais lancé un défi. Je l'ai réussi, et même mieux que ça...