Sur la question du voile islamique (suite)
Une islamophobie à peine voilée.
Le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) a présenté une femme voilée comme candidate, dans le Vaucluse, aux élections régionales de mars 2010. Tollé général !
Martine Aubry, encouragée par des sondages positifs et décidée à rester en course pour l’élection présidentielle de 2012, a un avis sur tout. Ainsi, elle a fait savoir qu’elle « n’aurait pas fait le choix de présenter une femme voilée aux élections ». Aurélie Filippetti estime qu’Olivier Besancenot était dans une « dérive idéologique totale » et qu’il devait relire Karl Marx ; alors que Marx, s’il avait effectivement écrit la fameuse phrase sur « la religion, opium du peuple », avait aussi plaidé pour la liberté d’expression des religions contre toute persécution, et considérait certaines expressions religieuses comme « soupir de la créature humaine opprimée », comme expression d’une aspiration à la justice sociale.
Elle a fait part de son intention de voter, comme Manuel Valls, une future loi anti-burqa telle que voudrait la proposer Jean-François Copé. Besancenot pourrait lui conseiller d’aller lire la Convention Européenne des Droits de l’Homme...
Alors que Jean-Marie Le Pen trouve qu’il s’agit d’« une fantaisie vestimentaire » ; se montrant cependant (à la différence de certains protagonistes de l’UMP ou du PS) nettement moins choqué par le port du foulard ou du voile. Ceci puisque lui a une façon plus radicale de poser « le problème », celui-ci consistant pour lui non pas tant dans le port du voile, mais dans le fait que (prétendument) « dix millions d’étrangers ont pu entrer dans notre pays ».
En fait, pourquoi est-ce si insupportable, si révoltant qu’une femme voilée puisse être candidate aux élections régionales ?
« La politique, c’est la laïcité » répondent les hommes et femmes politiques français. Ah bon ? Donc, la France est un Etat laïc ? C’est-à-dire qu’il y a une séparation entre l’Etat et l’Eglise (loi de 1905) ? La laïcité qu’ils s’empressent de secourir est une illusion, un mensonge... Des preuves ? Les privilèges dont bénéficie l’enseignement catholique privé, Sarkozy...
Quant à Rama Yade, secrétaire d’Etat, elle se dit « un peu heurtée » en ajoutant que « quelquefois, la politique conduit à ignorer les grands principes républicains parmi lesquels il y a la laïcité ». Soit elle est candide, soit elle est amnésique puisqu’elle a eu comme collègue au gouvernement Christine Boutin, candidate du Forum des républicains sociaux à l’élection présidentielle de 2002. Présidente du Parti chrétien-démocrate, mouvement politique associé à l’UMP, elle a été ministre du Logement et de la ville. Elle a aussi été consulteur du Conseil pontifical pour la famille au Vatican. Elle est aussi contre l’avortement, alors que le Conseil constitutionnel a admis la constitutionalité de la loi Veil et que le Conseil d’Etat l’a validée (en décembre 1990). Les défenseurs des principes ne se sont pas insurgés contre la remise en cause d’un droit acquis des femmes (la possibilité pour toute femme vivant en France et Europe de mettre fin à une grossesse non désirée).
Et, on a appris, dimanche 7 février 10, que Boutin a obtenu de Luc Chatel l’interdiction d’un film sur l’homosexualité dans les écoles, le film « Le baiser de la lune », contre lequel une association liée à l’extrême droite avait développé une campagne haineuse à partir de Rennes.
Enfin, en octobre 1998, lors du débat sur le PACS à l’Assemblée Nationale, elle avait brandit la bible.
En même temps, son mentor, le président de la République et chanoine intronisé par le pape Benoît XVI, piétine ouvertement la laïcité : « J’assume les racines de la France et ce lien particulier qui a si longtemps uni la France à l’Eglise »... Il sort clairement de son devoir de réserve et de neutralité, en affirmant par exemple que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes... Dans la transmission des valeurs et de l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé. » Lors de ses déplacements au Vatican en décembre 2007 ou encore en Arabie Saoudite en janvier 2008, celui qui est à la tête de l’Etat tint des propos ouvertement contraires à tous les principes fondamentaux de la laïcité.
Je crois qu’une femme peut être à la fois musulmane, voilée et defendre les idées d’un parti politique, soit-il « laïc, féministe et anticapitaliste ». La question est de savoir si elle est d’accord avec les idées et le programme du NPA. Et elle y a repondu positivement. Enfin Besson a annoncé triomphalement aux médias qu’il avait « refusé la nationalité à un ressortissant étranger qui oblige sa femme française à porter le voile intégral, un cas sans précèdent en France. »
Mais samedi (6 février 10), dans l’émission « Média polis », Olivier Duhamel - constitutionnaliste et politologue - a expliqué que c’est « faux, et c’est un coup médiatique ! La loi, le Code civil et le Conseil d’Etat avaient considéré que lorsqu’on portait le voile et qu’on refusait l’égalité entre hommes et femmes, on ne pouvait avoir la nationalité et tout le monde devait être d’accord avec ça. »
Admirez comment les uns et les autres se depassent pour nous imposer un nouveau vocabulaire, nous encourager à devenir islamophobes. « Le diable islamiste » pour Zemmour ; « islamofascisme, fascislamisme, un concept juste » pour Bernard Henry Lévy. Bien sûr, l’effondrement de la gauche, le triomphe des idées du Front national reprises par l’UMP facilitent la banalisation de l’islamophobie en France.
Je ne peux m’empêcher de penser à la chanson « Lily » de Pierre Perret : « Elle croyait qu’on était tous égaux, Lilly. Au pays de Voltaire et d’Hugo, Lily... Elle aimait tant la liberté, Lily ; elle rêvait de fraternité, Lily... »