Paris, son métro, quelques uns de ses habitants...

Publié le par Movaniel

Levé à 6h30 du matin
je pénètre dans la chair d´une foule compacte et grumeleuse
en évitant la vue des multiples visages de la créature
conscient que ses yeux inombrables sont un miroir
qui me renverrait l'image de mon propre visage de zombie.

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Voyager dans le métro ou le RER à Paris aux heures de pointe a parfois un côté sexuel. Promiscuité oblige. Le fait d´être collé aux autres, imbriqué-e-s. Mais si ca renvoit à quelque chose de sexuel, ce n´est pas à du sexe consenti. Se retrouver dans la bousculade le nez encastré sous l´aisselle transpirante d´un autre voyageur, par exemple, est une expérience très aléatoire. Et bien sûr, si ca peut de temps en temps être une expérience agréable de sniffer le dessous de bras d´un ou une inconnu-e, c´est assez souvent un moment d´horreur.


Mes premières impressions sur la capitale tendraient à me présenter les Parigots sous un jour de gros malpolis, toujours pressés et faisant la gueule.
Evidemment les transports en commun y sont pour beaucoup.
Mais pas seulement. Les quelques médecins que j'ai eu l'occasion de consulter, nombre d'épiciers, de boulangers et commerçants chez qui j'ai pu aller acheter quelque chose avaient une nette tendance à la réplique bourrue et au ton sec. Quand je me suis autorisé à blaguer ou faire de l'ironie j'ai eu droit à des coups d'oeil suspects. De toute évidence les commerçants d'ici sont souvent assez désagréables.
Bon, j'entends déjà d'ici les hurlements : "Que des généralités !". Ce n'est sans doute pas le cas de tous les commerçants de Paris, c'est peut-être le stress ou le flot de touristes qui rendent les commerçants de certains quartiers bougons ou acariâtre, n'empêche que...
Dans certains quartiers populaires, quand j'observe les visages des gens à la sortie des grandes surfaces, la plupart pourraient sortir d'un cimetière.

Bon, j'en reviens au métro qui, bien qu'il soit un des moyens les plus rapides de déplacement ici, a quand même des aspects effrayants.
Quand la sonnerie du métro retentit, annoncant la fermeture des portes, combien de fois j´en ai vu se jeter contre la foule déjà compacte des voyageurs entassés à l´intérieur du wagon (visions d´horreurs qui ont inspiré le texte que j´ai écrit il y a quelques jours) sans se soucier de savoir s´il y avait des enfants, une femme enceinte, un vieillard ou quelqu´un à qui ca pourrait faire mal !
J´ai vu des hommes donner à d'autres de violents coups d´épaule,
simplement pour gagner une place dans la longue foule pressée qui galopait d´une rame à une autre. Pas même une excuse ni la moindre réaction des victimes.
Sans doute que gagner une place ou un métro est pour certains une question de vie ou de mort.


A chaque fois j´imagine que je dois avoir les yeux écarquillés devant ce
genre de tableaux.
Une chose qui m´a traversé l´esprit est qu´à voir des scènes pareilles
quotidiennement, la brutalité, l´indifférence et l´égoïsme entre citoyens
ordinaires doivent se banaliser, au moins dans ces lieux
[J´allais dire de l´"incivilité", mais depuis que ce mot a été repris dans le jargon sécuritaire je ne peux que le bannir de mon vocabulaire.]
Et les préjugés sur les autres ne doivent pas tellement diminuer. J´imagine les "Sale arabe !", "Con de noir !", "Salope !", "Vieux con !" qui doivent fuser dans les têtes...
Des hypothèses que je peux deviner à partir de mon propre ressenti.


Dans le métro je deviens énervé, tendu, aigri, misanthrope. Collés aux autres, balloté et écrabouillé, avec des gens qui ne me laissent pas sortir assez vite (compte tenu des maigres secondes avant que la sonnerie de fermeture des portes retentisse) et d´autres qui ne s´écartent pas pour me laisser monter, je tends irrésistiblement à l´agressivité.
Et il y a des moments où l´autre vous insupporte, simplement le fait qu´il soit là, contre vous, qu´il vous regarde, respire dans votre cou, lise ce journal que vous n´aimez pas. Il y a des moments où si on pouvait désintégrer tout ce monde on le ferait probablement. Moi oui.
Pour tenir le coup dans ces moments-là j´essaie de faire appel à ma
fantaisie, mon anti-conformisme, à l´humour, à des exercices de comédien ou invoquer mon humanité profonde pour continuer à sourire. Pour garder une courtoisie indispensable selon moi à la vie en société. J´essaie de continuer à me comporter comme je voudrais voir les autres se comporter, prenant un peu ma responsabilité d´atome de ce grand ensemble "voyageurs du métro" ou "habitants d´une ville".
Je tente d'être attentif à ce qui se passe autour de moi, à tenir la porte de sortie au suivant. Mais à force de me faire impunément écraser les orteils, donner des coups de coude, lâcher la porte dans la face sans un mot d´excuse, je serre les dents, au bord de la crise de nerfs.


Parmi les nombreuses choses horripilantes du métro il y a la pub.
Pubs qui recouvrent les murs des stations en affiches géantes que l'oeil de celui ou celle qui attend ne peut éviter de survoler.
Pubs qui pendent en placards aériens à l'intérieur des wagons, voletant au-dessus des têtes des voyageurs esquichés.
Pubs qui trônent encadrées, deux par deux et énormes aux extrémités de chaque wagon.
Dans mon théâtre intérieur j'imagine un spot de pub avec des gens s'asphyxiant de leur trop grand nombre, glissant lentement sur le sol, morts, mais ne pouvant pas tomber raides du fait du manque de place. En arrière-plan de ces corps qui s'affaissent et de bras qui se tendent à la manière des victimes des chambres à gaz, une superbe affiche publicitaire. Au milieu des gémissements d'agonie un zoom lent se fait sur l' affiche en question. Une inscription en grosses lettres dit : "Perfectionnez votre anglais", tandis qu'une femme au sourire rayonnant et atiffée comme une jeune cadre dynamique lance un :
"I speak Wall Street english !"...
[Cette affiche fait partie des plus présentes, des plus niaises et des plus idéologiques sur l'enthousiasme que veulent susciter notre gouvernement, nos publicitaires et nos entreprises (Il faudrait créer un mot pour englober les trois puisqu'ils travaillent ensemble...) pour la croissance économique]


Une autre chose enfin : les réactions d'agressivité entre les voyageurs que les personnes autour feignent d'ignorer. Je déteste ce mélange de lâcheté et d'égoïsme. Souvent une personne se fait prendre à partie par une autre sans que personne ne bronche. Alors qu'il s'agit de méchanceté gratuite, de difficulté à vivre ensemble.
Quelquefois mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines.
J'ai le souvenir d'une situation où je venais à peine de me débarraser de trois autistes adeptes de l'auto-mutilation auditive [Vous voyez, le genre casque sur les oreilles, plus ou moins jeunes -Rassurez-vous : les moins jeunes se mettent aussi aux nouvelles technologies pour faire de l'autisme social- avec des basses qui résonnent 10m à la ronde, qui s'éclatent les tympans en vous interdisant de vous évader pendant le quart d'heure qui suit ? Bon, bein là j'étais encerclé : 3 autistes branchés sur basses et le mélange des 3 faisait un effet mitraillette...] quand une fille assise tout près a demandé à une jeunette de baisser sa musique. La première essayait de lire son journal, alors que la deuxième s'était mis en tête de faire marcher son téléphone portable en mode chaîne hifi, volume au maximum, pour en profiter avec une copine.
La jeunette lui a ri au nez. J'ai regardé les passagers autour de moi : chacun dans sa bulle. Comme si rien ne s'était passé. J'ai donc prêté main forte à la demoiselle au journal en essayant d'inspirer à la jeunette une idée d'altruisme.
Elle m'a rit au nez avec sa copine. J' ai commencé à m'énerver.
Bon, au final ça n'a pas marché parce que je me suis fait traiter de "vieux con" [Moi, vieux ? Déjà ?] mais au moins j'aurai essayé.

Je sais pas, je me dis du fond de ma petite tête que si les gens se regardaient et se parlaient vraiment, on n'en serait peut-être pas là où on en est aujourd'hui, à laisser les grands patrons et la police nous gouverner sous la gauche comme sous la droite.
Souvenir d'une chére et tendre qui, sur fond de vendanges "Vive la France !", "A bas les Arabes et les pédés !" et de crises de colère et de discussions répétées de ma part avec les beaufs locaux, m'avait reproché de me fatiguer pour pas grand chose et de vouloir jouer inutilement le rôle du redresseur de torts.
Des années plus tard je suis à peu près le même, toujours dans la précarité sociale. La donzelle s'est envolée pour d'autres aventures, travaillant pour l' Etat sous des lattitudes où on ne différencie pas tellement avant et après la colonisation...


Certains jours je me dis que mes efforts épuisants de sociabilité dans le métro ne changeront certainement pas tous les usagers en boute-en-trains non-violents et partageux. Mais ça me permet de rester humain dans cet espace déshumanisant.
Je pense à ces quelques un-e-s dont j´ai parfois croisé le regard quand j´étais accablé, ces gens qui m´ont lancé un sourire que j'ai attrapé au vol, mettant soudain du soleil dans la grisaille.
Je me dis que si je peux faire à d´autres ce que ces gens-là m'ont fait de bien dans ces instants éphémères, ça vaut largement le coup de continuer à se battre.
Si le désespoir est contagieux, le sourire et l´ironie sont les armes de résistance que j´ai trouvées, et elles me permettent de trouver des complices, ce qui est extrêmement précieux.


Pour tenir le coup je me remets aussi en tête que cette ville n´est pas la mienne et que mon temps ici est compté.
Pour ne pas me dire que tous les Parisiens sont des bêtes, je me répète que l´inhumanité qui règne dans un lieu comme le métro aux heures de pointe engendre forcément des comportements inhumains.
Que si les Parisiens des classes moyennes et populaires qu´on y croise sont aussi agressifs ou fantômatiques c´est aussi leur vie qui veut ça.
Sans rire, je suppose qu´il faut avoir une vie trépidante (avec une source de revenus épanouissante et/ou une vie quotidienne formidable) pour continuer à sourire dans le métro !
Pour ceux et celles qui reviennent d'un boulot avec un patron omniprésent, voire qui sont pressurés sur l'autel de la flexibilité, j'imagine qu'ils n'ont pas forcément envie de sourire tellement ils sont vidés. Et même chose pour y aller le matin.
Heureusement qu'il y a les touristes, les rêveurs et les exceptions !


Ah, j'ai l'image de ce clochard qui regardait assis sur un banc les gens se presser dans les wagons. Il criait : "Dépêchez-vous ! Allez travailler ! Travaillez et consommez ! Vous êtes manipulés ! Allez, au boulot ! Mais m'attendez pas, hein ! J'arriverai plus tard !"
Il m'a fait rire. Certains ont souri. J'ai même hésité à descendre faire un brin de causette avec lui tellement il avait l'air plus vivant que tous ces gens froids et pressés.


La morale de toute cette histoire, c'est que l'éthique c'est important, même si ça gratte.

 

Publié dans Nouvelles de voyage

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