Nacht und Nebel (Nuit et brouillard)

Publié le par Movaniel

Bon, j'étais fier de moi pour la balade de nuit à vélo dans le brouillard.
Pourtant hier j'ai eu une nouvelle expérience bien différente. Cette fois-ci j'ai dû traverser peut-être la moitié de la ville, toujours de nuit et en vélo dans le brouillard, mais seul et avec un sac à dos qui pesait un âne mort...
Filer comme une flêche à travers les rues de Leipzig en vélo, ca m'a donné une sensation de légèreté hallucinante.
Il n' y avait presque personne après 22h30 et je ne voyais rien. J'ai failli passer devant la gare sans la voir alors qu'elle était de l'autre côté de la rue !!!
Un peu moins d'une heure de train pour aller jusqu'à Naumburg. J'étais claqué et le dos en compote, mais je ressentais une ivresse folle.
Arrivé à Naumburg mon excitation s'est effritée. Ville d'environ 40 000 habitants, quand il est minuit et qu'il fait un temps aussi follichon, les autochtones ne traînent pas dehors.
Et il n' y avait aucune indication sur le chemin à suivre pour aller de la gare au bled perdu dans lequel j'ai une chambre. Alors j'ai traqué le badaud...


Pas loin de la gare un gros bonhomme qui se donnait des airs importants avec son costard-cravate et sa démarche raide. Je le double pour lui demander ma route. Au fur et à mesure que je l'approchais un curieux sentiment m'envahissait. J'avais déjà éprouvé ca dans un livre. Je ne connaissais pas cet homme et pourtant il me rappelait quelqu'un.
Quand je lui ai demandé la direction de Bad Kösen (5 000 habitants) il m'a répondu en criant d'une voix nasillarde : "J'ai pas le temps !". Et il a pressé le pas.
Je l'ai remercié pour sa grande gentillesse et je l'ai doublé en trombe. C'est vaiment tout ce qu'il méritait.
Cet homme m'avait glacé le sang, ce qui émanait de lui. On était seuls dans cette rue, et même s'il avancait sans faire attention à moi, c'est comme si je n'avais pas pu l'éviter. Quelques secondes plus tard j'ai mis des mots sur les émotions.
Ce gars me faisait penser aux hommes gris de Momo (le roman de Michael Ende - qui a aussi écrit "L'Histoire sans fin"). Je sais que je reviens souvent à cette histoire, mais elle m'a marqué.
J'ai regretté après coup ne pas lui avoir dit. Pour lui faire comprendre que je l'avais démasqué. Ou pour l'aider, le prévenir qu'il filait un mauvais coton. A condition qu'il puisse encore changer.
Je crois en la capacité d'évolution de la plupart des humains. C'est pour ca que j'arrive à rester positif. Ca n'a pas toujours été le cas. Et parfois j'ai dû payer ma trop grande confiance ou mon trop grand enthousiasme...
Tant pis. Je préférais être dans ma peau que dans celle de ce type.


J'ai changé de direction 3 ou 4 fois, allant à chaque fois au bout d'une grande avenue, plus loin sur un bout de périph'. Mais nulle part il n'y avait de panneau "Bad Kösen".
Pendant un moment j'ai cherché une maison allumée pour demander de l'aide. J'ai trouvé un ado mou et boutonneux, qui m'a répondu à travers la vitre.
Un accent à couper au couteau. Il m'a envoyé dans une direction où rien ne ressemblait à ce qu'il m'avait dit. J'ai roulé dans le noir et le brouillard sur une putain de route interdite aux vélos pendant au moins 3 km... pour arriver à un panneau qui me faisait comprendre que j'avais pris la direction diamétralement opposée !!!
J'ai essayé d'arrêter des voitures. Il paraît qu'on a plus de sens civique en Allemagne. Peau de zob pour qu'ils s'arrêtent ! J'ai réveillé un type qui m'a envoyé bouler en me disant que c'était pas son problème.
C'est vrai qu'il n'est pas obligé d'aider tous les étrangers qui passent.
Et puis, vu l'endroit où il habite, il doit pas en voir beaucoup.
Bien fait pour sa gueule : il n'avait qu'à pas habiter au bord de la route ! 
Je suis repassé à la maison du gros ado. Regard perdu entre les lumières d'une télévision et celles d'un aquarium. Ca doit faire un joli concert de couleurs dans sa tête...
J'ai essayé de parler avec la mère qui devait lui dire de ne pas me répondre.
"C'est privé ici !", qu'elle m'a dit la femme "grise". Je lui ai arraché la direction à prendre : à l'opposé de ce que son fiston m'avait dit. Vielen Dank !
Et je me suis retransformé en flêche, zébrant la nuit et le brouillard de la traînée de fumée qui sortait de ma bouche...
Un arrêt à la station service. "Aral", on commence à devenir intimes. Un jus de fruit et un "Bockwurst" (c' est de la viande, hélas, et probablement très mauvaise, mais je craque parfois pour ces énormes saucisses qu'on mange dans un pain minuscule et qu'on recouvre de moutarde sucrée) et la dernière ligne droite m'a amèné dans les bras de Morphée.


En résumé j'ai mis 2h30 pour faire 6 km.
A plusieurs reprises j'ai cru que j'allais passer la nuit dehors, mais j'ai fini par retomber sur mes pattes. Maintenant je connais la route, je sais quoi dire aux bonhommes gris quand j'en croiserai, je suis presque devenu un as du vélo (si au moins je savais changer les vitesses) et j'ai eu une sensation de liberté inégalée jusqu'à présent.
Rien à voir avec ce qu'on ressent au volant d'une bagnole lancée à toute allure. Les beaufs devraient en prendre note. Comment on ressent le sol (j'ai maudit les rues pavées), l'air, le ciel, la vitesse et le rapport à la "monture", c'était fabuleux ! La nature dans le noir devient presque sauvage, les arbres aux branches nues sont comme des monstres prêts à se jeter sur nous (j'ai revu des passages de Blanche-neige, je crois, quand elle est dans la forêt et que la nature s'acharne sur elle). J'étais lamentablement en sueur, mais j'avais vécu quelque chose de fort. Une nouvelle victoire sur moi-même.


Retour aux plats sucrés et farfelus de mon lycée. A midi le plat principal est un petit pain blanc recouvert  d'une sorte de béchamel sucrée et accompagné de fraises et d'un coulis. C'est pas mal mais c'était le plat principal de ceux qui avaient la mauvaise idée de prendre le plat végétarien... Je vais au goûter ("Vesper" ici - ca me fait penser aux Vêpres des anciens) parce que je suis un vrai glouton et aussi parce que les rations de midi sont un peu petites pour quelqu'un qui a l'habitude de la quantité. A chaque fois je crois bien être le seul "plus de 19 ans" au milieu de tous ces jeunes. Dans la fille d'attente on est serré contre les petites pépées. Dis-donc, ca sent la fille !
On me ressert la même chose qu'à midi, sauf que cette fois-ci les fraises et le coulis ne sont pas à côté mais dans le pain. Je savais bien que c'était un dessert !
Mon estomac commence à faire la gueule...

 

Publié dans Nouvelles de voyage

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