Promenade à la Fête de l'Huma

Publié le par Movaniel

Du 14 au 16 septembre avait lieu la Fête de l´Humanité à la Courneuve (près de Paris). J´ai voulu y passer. Depuis le temps que j´en entendais parler...
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La Fête de l´Huma m´a donné l´impression d´être une gigantesque fête de la saucisse sur fond de drapeau rouge omniprésent [Il y en avait de plusieurs sortes, mais le plus fréquent était le bon vieux soviétique avec la faucille et le marteau. Il paraîtrait qu´ils ont changé les cocos. Pour ma part j´en avais froid dans le dos].
La gueule du Che, difficile de la louper : elle se vendait comme des petits pains et beaucoup de jeunes et des moins jeunes la portaient sur leur tee-shirt. On vendait même des chapeaux vietnamiens avec la tête du Che ! J´avais du mal à suivre la logique du phénomène.
Il est vrai que c´était le 40e anniversaire de la mort du Che, exécuté par l´armée bolivienne et la CIA.
Un symbole de lutte et de résistance, le Che. Mais dans le cadre de la fête du PC il prenait des allures un peu sombres.


D´abord venant d´un parti qui a pratiqué pendant si longtemps le culte de ses combattants, dirigeants et martyrs jusqu´à les transformer en icones. Restes de la période stalinienne, mais je dirais plutôt, prenant peu le risque de me tromper : restes de la période bolchevique.
Si je ne m´abuse, lorsque l´Internationale Communiste est crée à l´appel de Lénine en 1920, parmi les conditions qu´on doit respecter pour compter comme section il y a l´obéissance à Moscou. La soumission à une intelligence et à des intérêts qui dépassent la capacité de jugement des militants préexise à la création du PCF.
Au PC on jette souvent la pierre à Staline comme si toutes les choses contestables et réalisées au nom du communisme d´Etat lui étaient dûes. Quoiqu´on ait fait du tri dans ce qu´on désavoue aujourd´hui, on a surtout lâché du lest sur ce que l´ennemi capitaliste occidental dénoncait comme inacceptable : les goulags, les procès truqués des ex-dirigeants, les déportations massives, la terreur.
Au final la vision que les militants du PC donnent de leur passé a pris une tournure beaucoup plus "politiquement correcte" pour le bloc victorieux. On a coupé les mauvaises branches d´un système totalitaire pour apaiser le feu de la tyrannie d´en face, mais on n´a nullement fait une remise en question à la racine.


Je pense aux débuts de la révolution bolchevique, à l´époque où Staline n´était pas encore seul aux commandes. Quand les concurrents des bolcheviks dans la perspective d´une révolution sociale ont disparu les uns après les autres, vaporisés dans la nature (marque de visite d´une Tchéka invisible) ou écrasés dans le sang par l´Armée rouge : les Socialistes Révolutionnaires de Marie Spiridonova, les anarchistes dispersés dans les villes et ceux plus organisés du mouvement makhnoviste en Ukraine.
A l´époque où le nouveau PC soviétique organisait ses premières grandes réunions internationales (Kommintern et Internationale syndicale rouge) et aux délégués francais en désaccord avec la ligne de Lénine, mystérieusement disparus lors de leur voyage de retour, avant de pouvoir témoigner de quoique ce soit (épisode relaté dans "La Mémoire des vaincus" de Michel Ragon).
Je pense à la Révolution espagnole de 1936 qu´autant les "démocraties" occidentales que les "communistes" pro-soviétiques ont voulu gommer de l´histoire. Lorsque le film de Ken Loach ("Land and freedom") est sort en 1995 et a dénoncé à la manière d´Orwell la liquidation de la révolution par le Parti Communiste, L´Humanité a titré dans le goût de : "NOS PERES N´ETAIENT PAS DES ASSASSINS !".
Là il n´y a pas eu d´autocritique.


On peut gommer de l´histoire les ennemis communs aux deux anciens blocs ennemis, tout ce qui ne convient pas aux uns et aux autres, pour exalter le courage des Brigades Internationales et des résistant-e-s à l´occupation nazie. Certes je ne nie pas qu´il devait falloir du courage pour aller se battre en Espagne ou pour risquer sa peau dans la France occupée et collabo, mais les hommages nostalgiques qu´on peut en lire le plus souvent mêlent la subjectivité des vainqueurs de premier ordre à la mauvaise foi des stratégies politiques.
J´ai vu un jour un film (je ne me rappelle plus du titre) en 3 parties qui parlait des "listes noires", noms de militants communistes indésirables parce qu´ils avaient osé contesté la ligne officielle du Parti avant la guerre et qui étaient exécutés par des tueurs à vélo en pleine occupation allemande.
Mais sans doute vaut-il mieux parler du courage de Guy Moquet, qui met tout le mode d´accord du PC à Sarkozy.
Il y a eu pendant trop longtemps un côté religieux chez les communistes, changeant le désaccord en hérésie, l´exclusion en excommunication, le départ en trahison.
Mes grands-parents communistes ont fait enfant ma première éducation politique. Je me souviens d´avoir entendu avec effroi le mot de "renégat", mot dont je ne comprenais pas encore toute la valeur. Il n´y a pas si longtemps encore, les trotskistes faisaient parti de ces "renégats" aux yeux du PCF.
[J´ai d´ailleurs vu un livre sur une table de presse intitulé "Léninisme et trotskisme" qui présentait les trotkistes comme alliés du capitalisme et des fascismes entre autres parce qu´ils n´étaient pas solidaires du bloc de l´Est pendant la Guerre froide. Ca m´a rappelé avec horreur les accusations de "trotsko-fascisme" du PC contre le POUM pendant la guerre d´Espagne.]
On pourra parler aussi du rôle du PCF en mai 68 et du monopole qu´il entendait conserver sur la contestation, mais des livres en parleront bien mieux que moi...


Pour en revenir au Che, avec ce culte communiste dédié aux combattants, dirigeants et martyrs, on oublie fréquemment son côté dirigeant pour mettre en avant le Che guerillero et le Che martyr.
Il a pourtant été aussi ministre de l´Industrie à Cuba pendant une courte période. Et je me souviens d´avoir lu dans un article sur lui dans un numéro de Courant Alternatif (mensuel de l´Organisation Communiste Libertaire) qu´il aurait lancé aux trotskistes et anars emprisonnés à Cuba une phrase dans le style : "Si vous n´êtes pas avec nous, vous êtes contre nous."
En pure langue du pouvoir. [Encore étonné que les trotskistes de la LCR vénèrent autant le Che.]
J´ai toujours éprouvé un mélange de fascination et d´écoeurement pour ces grands écarts du PCF entre langue glacée du pouvoir et franc-parler prolo de l´opposition.
Probable que Che Guevara est autant adulé au PC qu´il est le seul personnage qui a touché au pouvoir et n´est pas vomi par l´ancien bloc de l´Ouest [Il est plutôt bien digeste si on tient compte du nombre de produits dérivés qu´on trouve à son image en dehors de la fête de l´Huma], qu´il permet au Parti de refouler la contradiction entre son aspiration à prendre le pouvoir depuis ses origines et son rôle de parti contestataire.


J´ai senti beaucoup de nostalgie à la Fête de l´Huma, regret de cette époque où le PC attirait les foules, où les politiciens ne pouvaient pas faire sans lui, où il y avait un espoir de faire changer les choses.
Je pense que le décalage générationnel entre les "jeunes" comme moi et les "vieux" de 50 à 70 ans, au-delà des idées, fait qu´on ne pourra peut-être jamais se comprendre. [Une militante indignée m´a arrêté en demandant mon aide. Elle disait qu´"on" voulait les faire changer (de nom et de symbole) et qu´"ils" avaient besoin de soutien. Que la faucille et le marteau c´était ce qui faisait leur identité, les différenciait du PS. Je lui ai dit qu´hélas je ne pouvais pas la suivre dans sa schyzophrénie.]
Vu tout ce qu´on sait aujourd´hui sur le PC d´ici et de l´Est, je me dis que le plus grave n´est pas la fin du rêve du communisme d´Etat [Je n´aurais pour rien au monde voulu vivre dans un système pareil] mais le fait qu´autant de gens aient cru à un système vénèrant la hiérarchie au point de placer ses chefs au-dessus de tout, institutionnalisant le mensonge et musèlant l´esprit critique.
Reste à trouver un moyen de faire changer le monde qu´on a maintenant.

 

Un petit retour à la Fête de l´Huma (depuis mes rêveries politico-existencielles) :
La Fête de L´Huma, c´est aussi un Pif géant gonflé pour remplacer Georges Marchais, des stands de militants communistes de tous les départements de France où on peut acheter des crèpes au sucre à 1 euro, bien moins chères que chez les forains qui les vendent le triple du prix, des stands étrangers comme celui du PC chinois qui est un vrai modèle en matière d´alternative au capitalisme, des banderoles dont certaines sont à rougir de honte ou à hurler de rire [Si j´y arrive je rajouterai les photos que j´ai prises], une heure et demie de discours anti-libéral de dirigeants du PCF sur la Grande scène suivi d´un quart d´heure de pubs sur écran géant : l´armée rouge défilant sur la place rouge et buvant du FANTA, VÉOLIA et LAGARDÈRE, allègrement hué par de nombreux jeunes venus pour le concert, Iggy Pop qui dit au public qu´ils ont raison de se révolter et qu´il est avec eux, Renaud chantant une chanson pour Ingrid Béthancourt, détenue en Colombie et critiquant les FARC qui la détiennent, l´Espace Che Guevara où les FARC sont à l´honneur !!!, le refrain de la chanson de Renaud, [Encore lui. Désolé j´ai été un grand fan : j´assume. J´y suis allé un peu pour ca. Un peu ému, un peu amer] pour Leonard Peltier ("Leonard Song"):


"Entendras-tu ces mots
Derrière tes barreaux,
Léonard ?
Du fond de ta cellule
Dis-leur qu´on les encule
Ces connards."

De la fine poésie, fidèle aux idées et au combat de l´Indien.
Malgré tout le mal que j´ai pu dire du communisme d´Etat et de son fantôme, je ne méprise pas ces gens, mais leur aveuglement et leur obéissance. La Fête de l´Huma n´en demeure pas moins un lieu qui sent le peuple, la sueur et la frite, où on se fait payer des coups par de vieux militants par fraternité de prolos et, bien sûr, accessoirement pour parler politique !

Publié dans Nouvelles de voyage

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